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On parle beaucoup d’écologie mais on ne remarque pas assez qu’il y a deux visions très différentes de l’écologie. Et ce qui les différencie, c’est que l’une se sert du conflit tandis que l’autre privilégie l’idée d’un lien harmonieux des êtres humains entre eux et avec la nature.
Il y a d’abord l’écologie de gauche, qui prolonge une longue tradition occidentale, dans laquelle le conflit occupe une place centrale. Tout le monde connaît la thèse de Marx selon laquelle la lutte des classes est le moteur de l’histoire. Pour la gauche, ce qui fait la politique, depuis la Révolution, c’est le conflit entre le peuple et les puissances financières, c’est la dénonciation des rapports de domination.
L’écologie de gauche reprend cette analyse. Justice sociale et protection de l’environnement ont le même ennemi : le profit. La planète est à tout le monde, elle ne doit pas être confisquée et détruite par une minorité. Dominique Voynet, candidate à la présidentielle en 2007, disait : « Quelques grandes entreprises multinationales s’arrogent le droit d’utiliser des ressources qui sont celles de toute l’humanité, pour faire du profit à court terme. Les mécanismes qui expliquent l’exploitation des hommes et l’exploitation des ressources sont les mêmes et je veux agir en transformant les rapports de production et la logique du profit ».
Cette conception de l’écologie est dominante dans l’écologie politique actuelle, tant à Europe Écologie Les Verts qu’à la France Insoumise.
Mais il y a une autre vision de l’écologie que j’appellerais « écologie concordante », dans laquelle c’est la notion de lien harmonieux qui est centrale. Pour elle, la valeur fondamentale est le lien harmonieux que l’être humain entretient avec lui-même, avec les autres, avec la nature et même, parfois, avec l’infini et la contemplation. C’est cela qu’il faut construire ou retrouver. C’est parce que l’homme a perdu ce lien harmonieux qu’on court à la catastrophe. Yann Arthus Bertrand, Al Gore s’inscrivent dans cette vision. Edgar Morin est aussi assez proche de ce courant.
Daniel Richard, ancien président de WWF France estimait qu’il fallait réunir, je le cite : « femmes et hommes de foi, scientifiques, politiques, ou simples citoyens désireux de construire un avenir où les êtres humains vivent en harmonie avec eux-mêmes, et avec le monde qui les entoure ».
C’est aussi la philosophie qui sous-tend La Panthère des neiges, le livre de Sylvain Tesson. Celui-ci regrette le temps où les hommes savaient parler aux autres hommes, aux animaux et aux dieux. Je vous cite deux extraits du livre :
« Apercevoir un animal sauvage, c’était contempler un très bel ordre disparu : le pacte antique des bêtes et des hommes – les unes vaquant à leur survie, les autres composant leurs poèmes et inventant des dieux. » Et aussi : « Il y a hors de moi quelque chose qui n’est pas moi et qui n’est pas l’homme et qui est plus précieux et qui est un trésor hors l’humain ».
Cette forme d’écologie est profondément ancrée dans la sensibilité, dans l’intimité que nous pouvons entretenir avec la nature et le monde.
L’écologie concordante est à mon avis majoritaire chez ceux qui ont une sensibilité écologique mais elle est plus discrète que l’écologie de gauche et elle a du mal à trouver une représentation politique. Le problème, c’est qu’il n’est pas facile de transformer les notions d’harmonie et d’intimité en moteur de la lutte partisane. Ça invite à se mettre au-dessus de la mêlée plutôt qu’à entrer dedans.
Il y a là comme un handicap structurel et c’est – à mon sens – une des raisons pour laquelle beaucoup d’acteurs importants de l’écologie préfèrent l’engagement concret sur le terrain, à la scène politico-médiatique. L’écologie concordante, pour l’instant, se diffuse par capillarité, notamment auprès des jeunes, qui ne se sentent plus forcément aussi concernés que leurs aînés par le débat droite/gauche.