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Le concept d’ « écologie punitive » connaît un joli succès en ce moment. Il n’y a pas si longtemps, beaucoup de gens étaient hostiles à l’écologie et niaient le réchauffement climatique. Les choses ont changé. Tout le monde prétend intégrer les dangers qui menacent la planète. Une nouvelle quasi-unanimité a vu le jour résumée par la formule : « Je suis pour l’écologie mais pas pour une écologie punitive ». C’est une formule qu’on entend beaucoup, surtout à droite, depuis les Macronistes jusqu’au Rassemblement national, et parfois à gauche. Cette posture du « oui mais » rassemble beaucoup de personnes qui semblent se rallier à l’écologie à contre-cœur.
Certes, certains écologistes peuvent être maladroits ou excessifs. Néanmoins, les excès de quelques-uns ne résument pas toute l’écologie. Or l’expression « écologie punitive » est très efficace pour discréditer toute l’écologie. Au niveau marketing politique, le slogan fait florès. Son succès est tel que les écologistes ont bien du mal de se départir de cette image punitive qui leur colle à la peau.
Et pourtant cette expression est très contestable.
Pour certaines personnes, elle peut avoir un sens légitime, ou tout du moins compréhensible. Par exemple, on peut comprendre qu’un paysan étranglé, qui possède à peine de quoi vivre et qui doit mettre du carburant dans son tracteur, peut considérer comme punitive une augmentation du prix de gazole, surtout quand il voit de nombreuses personnes prendre l’avion pour leur plaisir ou rouler en 4/4. Je m’intéresse plutôt dans cet article aux hommes politiques et aux divers responsables que l’on peut voir s’exprimer dans les médias.
Une première question qui se pose, c’est : « Qu’entend-on par « écologie punitive ? ». Le concept reste assez flou car ceux qui l’utilisent prennent rarement le temps de la définir. Cela laisse le champ libre à toutes les suppositions et les connotations. En tout cas, cela sous-entend que c’est une écologie triste, moralo, rabat-joie, puritaine, qui se complaît dans la pénitence.
Si on est précis, on ne peut considérer comme punitives que des mesures écologiques contraignantes, présentant un caractère d’obligation, assorties d’amendes ou de sanctions plus graves en cas de non-respect. Peuvent ou pourraient ainsi être considérées comme « punitives » l’interdiction de certains pesticides, l’obligation de trier ses déchets, l’interdiction stricte de chasser les espèces animales protégées, la limitation de la vitesse à 110 km/h sur l’autoroute. Mais dire que ces mesures sont « punitives » est en fait hors-sujet. Si on appliquait cette logique, il n’y aurait plus aucune loi car une loi, par définition, est toujours assortie d’une sanction en cas de non-respect. Si on va par là, le code de la route est punitif parce que « on ne peut plus rouler à la vitesse que l’on veut ! » Les zones non-fumeurs sont « punitives » à l’égard des fumeurs parce que « on ne peut plus fumer où on veut ! » En fait, toutes les lois ont une dimension punitive, mais la véritable question est de savoir si elles servent le bien commun ou non, et c’est sur ce point que doit porter le débat. Il est très pratique de brandir immédiatement l’épouvantail du caractère punitif et liberticide d’une mesure écologique parce que cela évite de se demander si elle est bénéfique ou non, dans une vision à long terme de l’humanité.
L’expression « écologie punitive » permet, au nom de la « liberté », de refuser toutes les mesures qui seraient un tant soit peu efficaces, parce qu’assorties d’une obligation légale. Vu l’ampleur de l’enjeu, une politique écologique conséquente implique des lois avisées, c’est-à-dire des lois qui servent ce que l’on veut vraiment pour le bien de tous. Sinon, on se limite à des incitations, des avantages fiscaux ou un appel à la bonne volonté, ce qui est bien mais ne suffit pas. Imaginez qu’on ait dit au patronat en 1936 qu’il pourrait accorder des congés payés s’il le souhaitait, mais qu’il n’y était pas obligé. Au final, l’idée « Je suis pour l’écologie mais pas une écologie punitive » revient à adopter une écologie facultative, qui reposerait sur la bonne volonté des gens. C’est être pour l’écologie à condition de ne rien changer dans notre manière de fonctionner, de ne toucher ni à notre mode de vie ni à notre pouvoir d’achat. C’est être pour l’écologie tout en ne renonçant à rien.
La notion d’écologie punitive permet de discréditer à bon compte les climatologues et les écologistes en leur prêtant une intention que, pour la plupart, ils n’ont pas. Elle donne l’impression que l’écologie est gratuitement et inutilement culpabilisante, rabat-joie et moralisatrice. Accuser une mesure d’être punitive ou liberticide, c’est typiquement l’argument défensif des personnes qui veulent garder leurs privilèges, sans se soucier du bien commun. C’est par exemple ce qui se passe aux États-Unis sur le sujet des armes en vente libre. Le lobby qui défend la « liberté » d’avoir des armes est tellement puissant que c’est un sujet tabou, intouchable. Et pourtant chaque année, les conséquences sont concrètes et des enfants meurent dans des fusillades.
Mettre en avant le caractère punitif d’une mesure, amener le débat sur ce terrain, relève de la prestidigitation. Le magicien fait des grands gestes avec la main gauche pour qu’on ne puisse pas voir ce qu’il fait avec la main droite. Il s’agit donc surtout d’éviter le véritable enjeu, qui, en fait, ne se situe pas entre une écologie punitive et une écologie bienveillante car facultative. Le vrai débat, lui, oppose la conscience et l’inconscience, la lucidité et l’aveuglement, la vision à long terme à la vision à très court terme ou encore le sommeil et le réveil, un réveil qui sera douloureux. L’expression « écologie punitive » rallie donc majoritairement tous ceux qui ne veulent pas de ce réveil, tous ceux qui veulent continuer à dormir.
Imaginons un pont qui relie deux villes et qui menace de s’effondrer. Le bon sens n’est-il pas de mettre en priorité la réparation du pont et de l’interdire momentanément à la circulation ? Est-ce que cette interdiction est « punitive » ? En fait, il n’y a pas tellement d’autres solutions. La maturité politique exige de faire face à la réalité, de choisir ce qu’on veut, en fonction de valeurs profondes. Elle envisage la possibilité de faire quelques sacrifices pour diminuer la souffrance et améliorer le bien-être des générations futures. Quand Churchill, le 13 mai 1940, seul face à la toute-puissance hitlérienne, alors que la France n’arrive plus à résister et que les Etats-Unis et la Russie ne sont pas encore entrés en guerre, prononce devant la Chambre des communes, son célèbre discours : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. », est-il punitif ? Ne sommes-nous pas bien contents que l’Angleterre ait résisté à l’Allemagne ?
Le concept d’écologie punitive est donc un concept négatif et inconsistant, qui vise bien souvent à s’épargner, voire à discréditer toute mesure écologique sérieuse. La posture « Je suis pour l’écologie mais pas pour une écologie punitive » est très facile et confortable. Elle permet d’avoir le beurre et l’argent du beurre, en prétendant qu’on a pris conscience du problème tout en ne faisant rien ou en gagnant du temps, un temps précieux.
Être écologiste, ce n’est pas avoir une intention culpabilisatrice mais avoir conscience que beaucoup de souffrances se profilent et s’interroger sur la façon d’éviter des catastrophes qui risquent de nous coûter très cher à tout point de vue. Si on ne fait rien, c’est la nature qui nous « punira » à travers l’effondrement de son si fragile équilibre. Il y aura bel et bien une sanction, même si ces mots ne sont pas tout à fait adéquats. En vérité, la nature ne s’embarrasse d’aucune considération morale mais, pour elle, inévitablement, les causes ont des conséquences. Si on met sa main dans le feu, on se brûle mais il serait abusif de dire que le feu nous « punit ». En tout cas, les conséquences du réchauffement climatique se sont déjà fait sentir, sous forme de sécheresses, de canicules, d’incendies, d’inondations, un peu partout dans le monde. Autour de nous, celles du Pas-de-Calais, en novembre 2023 : près de 250 communes sinistrées, 400 écoles fermées, 1400 évacuations. Et ça recommence fin décembre/début janvier, où les mêmes communes sont à nouveau inondées et connaissent d’autres évacuations. On a compté plus de cent morts lors des inondations en Belgique et en Allemagne en juillet 2021. À Barcelone, les réserves d’eau sont à leur niveau le plus bas. Les Pyrénées-Orientales sont au bord de la crise à cause d’une sécheresse qui dure depuis plusieurs années. Ce ne sont que des exemples parmi des milliers d’autres, plus ou moins graves. En Afrique, les victimes risquent fort de se compter par dizaine de millions, parce que les sécheresses y sont beaucoup plus graves qu’en Europe et vont rapidement rendre inhabitables des régions entières. On a relevé 62° de température ressentie au Brésil en mars 2024.
En fait, la notion d’écologie punitive est vraiment un mirage dépréciatif parce que l’essence de l’écologie, c’est justement de tout mettre en œuvre pour éviter ce qui pourrait nous apparaître un jour comme une terrible punition.